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La criticalité : A quand la fin des terres rares ?

Ecrit par Astrid Dhénain

mai 20, 2022

Ecrit par Astrid Dhénain

mai 20, 2022

Le développement de nos sociétés est basé sur l’utilisation des ressources naturelles à notre disposition. Une ressource peut aussi bien être un champ de blé qu’une nappe d’hydrocarbures ou une rivière. Lesterres rares sont un type de ressources dont on parle de plus en plus : elles nous sont indispensables pour diverses activités quotidiennes. On les retrouve en effet partout, de nos écrans lumineux aux générateurs de nos voitures électriques.

Terres rares : quésaco ?

Yttrium, Europium, Terbium, Néodyme ou Dysprosium sont tous des éléments qui appartiennent au groupe des terres rares. Ce groupe est composé du Scandium, de l’Yttriumet des Lanthanides.

Tableau périodique des éléments (terres rares encadrées en noir)

Chacun de ces éléments joue un rôle crucial dans la fabrication des objets numériques quels qu’ils soient.

Les qualités magnétiques du Néodyme et du Dysprosium en font des éléments indispensables à la transition énergétique : les générateurs électriques présents aussi bien dans les éoliennes que dans les voitures électriques doivent leur efficacité à ces éléments, notamment à leur propriété d’aimant permanent.

De son côté, le trio Yttrium-Terbium-Europium nous permet de regarder nos séries préférées en couleurs sur les écrans. Ainsi, le vert de nos pixels est renvoyé par le Terbium, le bleu par l’Europiumet le rouge par l’assemblage de ce dernier avec l’Yttrium.

Abondance relative des éléments
(Rare Earth Elements – Critical Ressources for High Technology, USGS, 2002)

Une ressource de plus en plus exploitée…

Nous avons puisé ces ressources métalliques de filons découverts en surface d’abord. Puis, à force de progrès techniques et grâce à l’usage d’énergies fossiles, nous avons creusé des mines toujours plus profondes, pour extraire des minerais suffisamment riches. Toutefois, comme toutes les ressources non renouvelables présentes sur notre planète, les stocks de terres rares sont finis.

Pour saisir de manière plus précise les défis auxquels nous aurons à faire face (et répondre à la question « combien de temps avons-nous ?), il faut éclaircir la notion de teneur de coupure. Elle correspond à la quantité minimale de métal (ou matériel de valeur) que doit contenir la terre excavée et traitée pour que l’extraction soit rentable. Cette valeur seuil dépend de nombreux facteurs, comme les stratégies d’exploitation, de financement (prêts bancaires), les contraintes économiques (institutions financières) ou techniques (pentes des fosses, taille des équipements …). La limite varie donc selon l’entreprise responsable de l’extraction…ou les cours de bourse. La teneur de coupure est ainsi une estimationde la quantité de minerais extractible à un coût suffisamment raisonnable pour être rentable.

…et de plus en plus critique !

Et c’est là tout le challenge : nous ne risquons pas, dans l’immédiat, d’arriver à la fin de ces stocks, pour une bonne raison… nous n’en avons pas la capacité ! Cela s’explique par la distribution non homogène des réserves dans la croûte terrestre : les minerais sont présents en quantité abondante pour deux taux de concentration en terres rares distincts (les deux bosses sur la figure ci-dessous). L’une (entourée), représente la quantité des minerais les plus riches en matière de valeur, donc plus facilement exploitables. D’après les estimations, les deux tiers de ces minerais ont déjà été exploités. L’autre bosse (encadrée) représente la quantité de minerais qui contient des terres rares en concentrations plus faibles. La « fosse » entre ces deux bosses est appelée barrière minéralogique : il y a une absence dans la croûte terrestre de minerais dont la concentration en terres rares soit comprise entre ces deux bosses

Barrière minéralogique
(Bobert Ayres, Brain Skinner 1976)

 

L’état de la technique aujourd’hui ne nous permet pasd’accéder à ces réserves (et dont à la plupart de ces terres rares) à un coût raisonnable. La barrière minéralogique a donc pour conséquence qu’une fois le volume situé dans la bosse des minerais à concentration élevée entièrement consommée, il faudra se tourner vers d’autres solutions.

Quel avenir pour ces ressources ?

On peut penser, à tort ou à raison, qu’une avancée technologique majeure permettra soit d’extraire des terres rares de minerais moins concentrés, soit de se passer de ces matières en les remplaçant par d’autres. On peut aussi imaginer que des progrès dans leur recyclagenous permettent de continuer à fabriquer des outils numériques à tour de bras. Mais toutes ces hypothèses supposent que d’autres ressources sont en quantités infinies ou particulièrement abondantes et peuvent être obtenues sans efforts. On entend par là les riches vecteurs énergétiques comme le pétrole, le charbon ou l’uranium, qui fournissent la majorité de notre énergie. Et l’on voit déjà apparaitre le problème : celles-ci sont également des ressources dont les stocks sont finis et dont la déplétion est peu souhaitable (source d’émission de GES, conflits stratégiques, etc).

Même si, malgré les chocs pétroliers, nous avons toujours du pétrole à mettre dans le réservoir de nos voitures, il deviendra bel et bien de plus en plus coûteux à extraire. A cela s’ajoutent les défis de dépendances sociale et politique, et les enjeux climatiques.

On peut malheureusement appliquer cette problématique à toutes les ressources abiotiques, c’est-à-dire les ressources minérales, qui ne sont pas d’origine biologique. Plus les nouvelles technologies se développent, plus nous avons besoin d’une importante diversité/quantité d’éléments d’origine minérale. Toutes ces ressources sont liées à des pressions sociales, économiques, politiques qui entraînent de grandes incertitudes quant à leur accessibilité. Cette variabilité dans la disponibilité des ressources, dépendante d’une multitude de facteurs est discutée sous le concept de criticalité.

Souhaitons-nous alors reproduire cela pour les terres rares ? La difficulté de l’extraction des terres de minerais de moins en moins riches en terres rares, entre autres, provoquera probablement, dans un futur proche des hausses de prix à l’image des chocs pétroliers.

La criticalité

Ainsi, la criticalité regroupe l’ensemble des facteurs qui pourraient rendre une ressource minérale indisponible sur le marché Cette notion comprend donc, au-delà de la facilité d’extraction, des facteurs tels que le monopole d’un pays dans la production, la demande mondiale, des tensions géopolitiques, la possibilité de la substituerpar une autre ressource aux propriétés similaires, etc.

Prenons, à titre d’exemple le cas du néodyme, l’une des terres rares indispensables à la transition énergétique dont nous avons parlé plus haut. Selon des estimations fournies par le Parlement Européen, 97% de la production mondiale de cette ressource est assurée par la Chine Supposons que cette puissance mondiale décide, pour des raisons stratégiques, d’arrêter tous ses exports de néodyme, de la même manière que la Russie a récemment décidé d’arrêter d’approvisionner la Pologne et la Bulgarie en gaz. On imagine bien les conséquences désastreuses qu’aurait une telle décision, non seulement sur le marché de l’énergie, mais également sur tous les secteurs qui en dépendent (aéronautique, automobile, etc).

Notre monde est donc celui où des millions, voir des milliards de personnes peuvent être privées d’une ressource essentielle à leur survie parce qu’un individu, à l’autre bout de la planète a décidé de couper le robinet.

Alors, à quand l’indépendance ?


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